Il était une fois...
(octobre 2014) Qu'elle est loin, désormais, l'enfance.
« Voilà votre fille. » Et comme en réponse, cette dernière pousse de grands cris. La sage-femme tend le nouveau-né à la jolie blonde en sueur, exténuée par l'accouchement. Sa petite fille dans les bras, Maora la regarde, presque abasourdie. Comment en est-elle arrivée là, Maora ? Mariée, maman, malheureuse. Ce n'était pas ce qu'elle voulait, au départ. Elle ne s'attendait pas à ça.
***
(past) Douce, insouciante, la petite Maora grandit paisiblement. Avec Loyd, petite Maora fait la joie de maman et papa. Les Oaken ont plutôt une bonne, voire une très bonne, situation. Monsieur est un grand avocat, connu dans tout New York. Personne n'avait pensé que le petit Aaron Oaken, venu de la campagne, deviendrait un avocat réputé et relativement célèbre, personne n'avait imaginé qu'il réussirait aussi bien sa vie. De même, son épouse Rosemary, jolie journaliste d'une vingtaine d'années, est devenue en quelques années l'une des plus sollicitées, après avoir été propulsée sur le devant de la scène grâce à une grosse et sombre affaire de stupéfiants, qui cachait bien d'autres choses. Aaron et Rosemary se sont rencontrés, se sont aimés, se sont mariés. Et puis, Loyd et Maora sont nés. Le rayon de soleil des Oaken, leur raison de vivre. D'origine modeste, papa et maman ont peu à peu grimpé sur l'échelle sociale, sans jamais oublier leurs racines. Surtout pas avec Loyd et Maora. De toute façon, les Oaken n'ont jamais vraiment intégré la « bonne société » new-yorkaise, toujours un peu à l'écart, jamais vraiment accepté par les autres. Mais peu leur importe. Ils sont bien, tous les quatre.
« Maman, c'est quand que j'aurai une petite sœur ? », elle demande, Maora. Elle s'ennuie un peu quand même, puisque Loyd ne veut même pas jouer avec elle. Loyd est un peu plus grand, il vient d'avoir neuf ans. Elle, Maora, elle n'a que cinq ans. Rosemary regarde sa petite fille, blonde aux yeux bleus. Toujours rieuse, toujours curieuse.
« Une future journaliste », se dit parfois Rosemary, avec un sourire. Maora est toujours à s'interroger sur tout, toujours à avoir besoin d'une réponse ; dans le cas contraire, elle part en boudant, et en râlant « qu'on ne veut jamais rien lui dire ». Elle n'a que cinq ans, la petite blonde, et pourtant déjà, beaucoup de caractère.
« Il n'y aura que Loyd et toi, Maora. » Maman est un peu triste en disant ça, ça se voit dans son regard. Maora ne le sait pas, mais sa maman ne pourra plus jamais avoir d'enfant.
« En France ? Vraiment ? » Papa n'y croit pas, il n'y arrive pas. Sa fille, sa Maora ? Loin de lui, loin d'eux, loin de New York ? Elle veut étudier les lettres, elle veut vivre en France. Il l'avait senti, Aaron, qu'ils n'auraient pas dû aller à Paris l'été dernier. Ni les autres fois. Maora y a pris goût, Maora veut maintenant y aller. Y étudier. Y rester. Y vivre.
« Mais tu étudieras quoi, là-bas ? » s'inquiète Rosemary, toute maman poule qu'elle est.
« La littérature. » Elle a des étoiles plein les yeux. Etudier en France, est devenu son rêve.
« Mais... tu saurais te débrouiller ? Avec le français ? Les cours ? Te trouver un travail ? » Elle s'inquiète, Rosemary, mais c'est seulement parce qu'elle l'aime. Au fond, elle le sait bien, qu'elle n'a pas besoin de s'inquiéter pour Maora. Maora parle assez bien le français. Ses résultats scolaires frisent l'excellence. Quant à la distance, même si ce sera dur au début, elle s'y fera. Maora a toujours été indépendante. Rosemary le sait. Rosemary a confiance en sa fille. Aaron est un peu sceptique, mais il acceptera. Ils sont ouverts, les Oaken. Ils respecteront toujours les choix que feront leurs enfants.
Elle arrive en France, enfin. Elle a laissé l'Amérique derrière elle, Scott et sa nouvelle copine tellement parfaite, ses amies, sa famille. Ici, elle recommence tout à zéro.
« Hey. » Cette voix, elle appartient à un beau brun qui vient de s'asseoir au comptoir du bar, juste à côté de Maora. Il lui sourit, commande un verre.
« Comment tu t'appelles ? » demande-t-il alors, en posant son regard sur elle, à nouveau.
« Maora. » Elle le regarde sans rien dire, attendant qu'il se présente à son tour.
« Dorian. » Il ne dit rien de plus, boit son verre. Pas de « Américaine ? » ou de « T'as quelqu'un dans ta vie ? », comme on l'a déjà fait avec elle. Elle a compris comment fonctionnent les hommes ici : comme chez elle. Elle se doute que ce n'est pas pour rien qu'il l'aborde ce soir. Ce n'est pas le premier à le faire. Et Maora est déjà tombée sur un bon nombre d'imbéciles se croyant irrésistibles, des dragueurs qui n'avaient d'autre but que de mettre une jolie Américaine dans leur lit. Mais celui-ci, il a un petit quelque chose de différent, mais elle ne saurait dire quoi. Son sourire qui lui semble sincère, peut-être ? Ou juste, qu'elle trouve irrésistible ?
« Tu étudies où ? » demande le dénommé Dorian, reprenant soudain la parole.
« A la Sorbonne. » Elle essaie de rester distante, mais esquisse malgré tout un sourire. La discussion s'enchaîne, tard, tard, ce soir-là, allant de sujets tout à fait sérieux, au flirt. Maora ne s'empêche bientôt plus de jouer, comme elle ne s'empêchera pas, ce soir-là, de passer la nuit avec Dorian. Les journées s'enchaînent à Paris. Elle sort beaucoup, la petite Maora. Elle est devenue grande, elle est devenue étudiante. Elle revoit Dorian. Une fois. Deux fois. Plusieurs fois. Rien de sérieux. Juste une nuit, parfois. Ou un café. Juste pour parler. Leur relation est indescriptible. Pas amis, pas amants. Maora aime simplement leurs conversations, et leurs nuits aussi. Ils ne font en réalité que profiter de leur jeunesse, sortent, boivent, couchent, et étudient parfois. Un soir, Maora sort en ville avec ses amies. Juste entre filles. Arrivées à la soirée, surprise. Dorian. Dorian, et d'autres jeunes hommes. Maora l'aperçoit, lui aussi : leurs regards se croisent, la jeune femme ne peut s'empêcher de sourire. Comment ce sera, cette fois ? Potes ou flirt ? Elle attendra qu'il vienne. Maora aime se faire désirer. Elle aime voir l'effet qu'elle fait aux hommes. Elle aime séduire, flirter, s'amuser. Dorian n'était pas le premier Français à l'avoir dans son lit, ni le dernier. Elle ne cherche pas l'amour, elle s'en fiche un peu. A quoi bon être avec quelqu'un, alors que ce n'est généralement que source de douleur ? Elle n'est pas comme ça, Maora. Plus maintenant. Elle veut simplement profiter de la vie, et ne plus voir son coeur être brisé en d'inombrables morceaux.
« C'est pas ton Dorian là-bas ? » demande l'une de ses amies, avec un sourire en coin.
« Arrête, c'est pas « mon » Dorian... » Et elle regarde le beau brun, en train de parler avec un de ses amis sans doute, tous deux lui jetant un oeil de temps à autre. Quelques instants plus tard, Dorian vient la voir. Pas un sourire, pas même un regard complice. A croire qu'il aimerait tout, sauf la voir.
« Quelqu'un aimerait que je te présente. » Elle le suit, vexée qu'il paraisse soudain si froid. Ils arrivent alors, jusqu'au jeune homme avec qui Dorian était en train de parler, quelques instants plus tôt.
« Maora, une amie. » dit-il en montrant la jolie blonde au jeune homme. Il a l'air de s'en ficher complètement, ce qui a le don d'énerver la demoiselle.
« Et Simon. Mon frère... » termine Dorian, avant de partir, les plantant là.
« Euh... salut. » ne trouve-t-elle alors qu'à dire. Maora regarde où est parti Dorian, et le trouve en charmante compagnie, faisant de grands sourires enjôleurs à une jeune femme. Elle détourne le regard, un léger pincement au coeur, et offre un grand sourire à Simon.
« Je vais être en retard ! » Stressée, la petite Maora ? Un peu.
« Ma chérie, tu es trop Française... où est passée ta ponctualité ? » demande Rosemary Oaken, taquinant sa fille paniquée, craignant d'arriver en retard à son propre mariage.
« Ne t'inquiète pas, ton cher fiancé ne va pas s'envoler... tu vas être à l'heure. » Et vingt minutes plus tard, la jolie blonde débarque à l'église, dans sa belle robe blanche de mariée. Tout le monde est déjà installé. Elle entre. La petite Maora a grandi, encore. Elle avance, elle rejoint son futur époux. Mais qu'est-ce qu'elle fout là ? Elle ne se pensait pas comme ça, Maora. Elle arrive devant l'autel. Elle écoute toute la cérémonie, sans vraiment l'entendre. Elle est ailleurs. Est-ce qu'elle fait le bon choix ? N'est-ce pas précipité ? Elle n'a que vingt-cinq ans. Un quart de siècle. Toute la vie devant elle. Est-il le bon ? Elle est assaillie de questions soudain. C'est alors que
la question est posée.
« Maora Zowie Oaken, voulez-vous prendre Simon Beauchamp ici présent pour époux ? » Non. Oui. Non. Elle ne sait pas. Elle ne sait plus. Son regard croise celui du témoin de Simon, debout derrière lui. Elle détourne le regard aussitôt, répond la si célèbre phrase, et Simon l'embrasse. Voilà. Elle est mariée. Ce n'était pas si dur. Pourquoi hésiter ? Un simple « Oui », et c'est terminé. Son regard croise à nouveau celui du témoin, mais Dorian détourne le sien, en premier cette fois.
« Je suis enceinte. » Maora ne sait toujours pas ce que ça lui fait, de savoir que dans quelques mois, un bébé sera là. Le sien. Elle n'a pas tellement compris, quand le test de grossesse lui a annoncé qu'elle attendait un enfant. Simon, lui, en a été très heureux, et l'a aussitôt serrée dans ses bras. Et là, maintenant, elle vient de l'annoncer à sa belle-famille. Belle-maman est toute souriante, toute enthousiaste. Beau-papa a un sourire en coin, et semble heureux lui aussi. Et le beau-frère ? Il semble s'en ficher, comme toujours. Pourquoi est-il toujours froid ? Elle a l'impression, qu'il ne lui a pas souri depuis une éternité. Ils étaient amis, pourtant. Maora se sent un peu triste. Elle ne sait pas trop pourquoi, elle s'était imaginée qu'il serait content pour elle. Pourtant, tous le sont, ça devrait lui suffire. Mais elle aurait bien besoin d'un soutien en vérité, bien besoin qu'on l'aide à être heureuse de cette nouvelle. Elle aimerait juste un signe, juste un sourire. Mais jamais, jamais il n'en fait. Elle est là, à cacher sa déception derrière un grand sourire. Ils sont tous aveugles. Elle ne voulait pas d'un enfant, pas maintenant. Son unique bébé, était sa maison d'éditions, créée récemment, grâce à ses économies, et à l'aide de ses parents aussi. Comment s'en occuper, quand on attend un enfant, quand on est maman ?
***
(now) Elle court, tout le temps, partout. Elle ne s'arrête jamais. Ça agace Simon.
« T'es jamais là, toujours au travail. Et Eoline ? Et moi ? » Mais il ne sait pas, il ne voit pas, qu'elle sent coupable, Maora. Elle doit travailler, elle doit faire fonctionner la maison d'éditions, elle doit s'en occuper. Mais Simon se sent délaissé, seul, seul pour élever leur petite fille de quinze mois. Il ne voit pas qu'elle fuit. Il ne voit pas qu'elle est mal. Il ne voit pas qu'elle a besoin qu'on l'aime un peu, qu'on la soutienne, qu'on soit là pour elle aussi. Y'a que Dorian qui l'a vu. Pour une fois. Il a pris sur lui, il est venu lui parler. Elle était débordée, seule un soir avec Eoline. Il est venu l'aider. Maintenant, c'est un peu moins froid. Enfin, ça dépend des fois. Par moments, elle s'amuse à le charrier, voire à le provoquer. Parfois il rit, souvent il se referme comme une huître juste après. Maora essaie de ne pas se vexer, mais elle ne le comprend pas. En attendant, elle a au moins trouvé un « soutien », ou, du moins, quelqu'un qui l'écoute. Même s'il est rare qu'ils se voient et se parlent, désormais.
Maora s'enferme dans le travail. Pour se changer les idées. Pour essayer d'aller mieux. Pour oublier. Oublier qu'elle ne va pas bien.