Décrivez vous en cinq adjectifs positifs et négatifs Simplicité et efficacité sont ses maître-mots. Norma est quelqu'un de direct, terre-à-terre qui aime aller à l'essentiel sans se prendre la tête pendant des heures pour des broutilles. Elle a de la peine pour les gens qui passent toute leur vie à se poser des questions plutôt que de vivre et de profiter de l'instant. Aujourd'hui épicurienne, il lui a fallu plusieurs années avant de se décider à laisser tomber ses études de droit pour mener une vie simple et dénuée de (presque) tout stress. Serveuse dans un bibliocafé est loin d'être la carrière que ses parents la voyaient suivre mais elle est heureuse et joint ainsi trois de ses passions : les livres, les gens et la caféine. Norma aime le contact, les rencontres d'esprits, les conversations banales comme les conversations profondes. Elle sait qu'elle ne fera jamais fortune et qu'elle vivra sans doute en collocation pendant de nombreuses années mais elle se satisfait des petites choses de la vie, des petits plaisirs que lui apportent ses journées. On apprécie sa gentillesse et sa patience, mais on redoute également ses colères : elles sont rares mais cinglantes et la demoiselle n'est pas du genre à lâcher le morceau. Son optimisme et sa capacité à relativiser lui permettent cependant de ne pas être trop rancunière et d'accorder assez facilement son pardon, la nature humaine n'est pas si mauvaise qu'on le laisse entendre !



Quelle est la soirée parfaite à vos yeux ?  On pourrait résumer la soirée idéale en deux mots : la surprise. Norma est folle des surprises. Elle aime l'excitation qu'elle ressent à peine quelques secondes avant de découvrir ce que l'autre a prévu. Elle aime savoir qu'on a fait quelque chose de sincère pour elle seule, elle se sent spéciale, aimée. La surprise en elle-même peut être n'importe quoi, ce n'est pas ce qui compte finalement. Le geste, c'est ça le plus beau.

Vous avez sûrement un talent caché, ou peut être un plaisir coupable que vous n'assumez tout simplement pas. Son guilty pleasure depuis quelques mois ? Le poker. Un client avait pour habitude de jouer en ligne dans le café pendant des heures. En plus d'être un joueur invétéré, il avait le mérite d'être particulièrement charmant. Il l'a invitée à sortir un soir, et au lieu d'un dîner au restaurant, ils se sont retrouvés autour d'une table avec d'autres joueurs. Norma a aimé le frisson et l'imprévu. Elle s'est mise à jouer de temps en temps, et il faut dire que son calme et sont sens pratique se sont révélés de parfaits atouts. Elle ne joue pas énormément d'argent, elle n'en a clairement pas les moyens, mais ce client l'invite parfois à rejoindre des tables plus prestigieuses et elle ne boude pas son plaisir de jouer dans la cour des grands.

« Merde maman  ! Je suis là depuis à peine vingt minutes et tu me fais déjà des reproches  ? Tu te fous de moi  ? Je pensais venir voir mon neveu, profiter d'un moment sympa en famille mais apparemment c'est impossible. » Je récupère ma veste et mon sac à main et je dépose le petit paquet cadeau dans le berceau du bébé. Je me tourne vers ma sœur « Désolée Rose, je reviendrai plus tard, encore félicitation. » Je sors sans claquer la porte parce que je sais que je me trouve dans une maternité, mais ce n'est pourtant pas l'envie que me manque. Après toutes ces années, j'ai toujours l'impression d'être le canard boiteux de la famille, la déception ambulante dont on ne parle pas, parce qu'elle n'est plus dans le même univers.
Je descends dans la première bouche de métro que je vois et je rentre à l'appart'. Il est presque 16h, mais les autres ne sont pas encore là. Je suis énervée et finalement bien contente qu'aucun de mes colocataires ne soit présent. J'allume une cigarette et je m'assois près de la fenêtre  : je risque de me faire sévèrement lynchée si je laisse derrière moi une odeur de tabac, mais je crois qu'aujourd'hui, plus rien ne peu m'énerver plus que ma mère. Vingt putain de minutes, c'est le temps qu'elle avait tenu avant de me demander sur un ton dédaigneux si mon «  travail de serveuse  » se passait bien. Elle était pas croyable. Ma sœur Rose venait d'accoucher d'un petit garçon et je mourais d'envie de rencontrer mon premier neveu. Pour ma mère, c'était encore une fois l'occasion de faire remarquer que Rose avait tout réussi  : elle était médecin, mariée à un type trop parfait pour être honnête et maintenant maman d'un bébé magnifique. C'est sûr qu’une fille célibataire, serveuse, qui vit en colloc parce qu'elle ne peut pas payer un loyer toute seule, ça fait tout de suite moins chic.


2013 – Paris
Plus la conversation avançait et plus je voyais le visage de mes parents se décomposer. C'était comme si je regardais une vidéo en slow motion   : ils avaient peu à peu effacé leurs sourires et pris un air d'abord curieux qui se transformait peu à peu en de la stupeur, de l’effarement et de la colère. J'étais passée chez eux pour le dîner en leur disant que j'avais une nouvelle à leur annoncer mais sans donner plus de détails. Connaissant ma mère, et aux vues de la quantité de nourriture qu'elle semblait avoir préparé, elle s'attendait à rencontrer officiellement mon petit ami. Raté ! Je n'avais aucune envie de leur parler de ma vie sentimentale ce soir, ni aucun autre soir d'ailleurs. J'étais venue leur annoncer que je laissais tomber mes études de droit. Il m'avait fallu plusieurs semaines pour me résoudre à leur dire,  pour imaginer toutes leurs éventuelles réactions et préparer quelques arguments imparables. Voyant qu'ils ne prenaient toujours pas la parole pour me couper ou me hurler dessus, je me suis dis que j'allais continuer mon argumentation. « J'ai trouvé du travail, je ne vous demande rien, seulement d'accepter ma décision, les études, c'est clairement pas pour moi, je vais pas refaire ma troisième année de droit une troisième fois, c'est ridicule... » Face à moi, mon père se leva soudain de sa chaise, se pencha vers moi par dessus la table et me gifla, sans un mot ni même une explication. Il quitta ensuite la salle à manger, me laissant bouche bée. La surprise m'avait fait lâcher ma fourchette et je restai quelques secondes immobile, hésitant entre rage et pleurs. C'est finalement ma mère qui brisa le silence : « Franchement Norma, tu t'attendais à quoi ? » Sans rien ajouter de plus, elle se leva à son tour. Seule à la table, comme une gamine qui venait de faire une bêtise, j’essayais tant bien que mal de ravaler mes sanglots. Je portai une main à mon visage, j'avais l'impression d 'avoir la joue en feu. C'est vrai ça, à quoi je m'attendais ? A une petite tape dans le dos disant « vas-y ma fille, on a adoré payer cinq ans d'études pour que tu finisses serveuse. » Personnellement, je ne voyais rien de mal à être serveuse, mais pour Monsieur et Madame, tous deux hauts placés dans un grand groupe financier, c'était une autre affaire...


Je tire une dernière fois sur ma cigarette et je laisse le mégot sur le rebord de la fenêtre. Je m'assieds sur le canapé près du chat en me disant que des câlins tout doux étaient la chose la plus réconfortante qui puisse m'arriver, mais la boule de poils n'est pas de cet avis et me lance un regard blasé avant de déguerpir vers les chambres. Je pousse un long soupir mi-désespéré, mi-amusé. Si même cette satané bestiole s'y met, je ferais mieux d'aller me coucher tout de suite pour mettre fin à cette journée. La sonnerie de mon téléphone me sort de mes pensées. C'est Rose, je décroche.


Août 2015 - Paris
« No', t'es la première à qui j'en parle parce que je sais que tu vas être la tata la plus extraordinaire de la terre... Je suis enceinte ! » La nouvelle ne m'avait pas surprise outre mesure, ils s'étaient mariés l'année précédente et je savais qu'ils voulaient toute une ribambelle de petits monstres, ils fallait donc qu'ils s'y mettent vite. Mais cela ne m'empêcha pas d'être réellement heureuse, d'avoir les larmes aux yeux et de la serrer dans mes bras. J'adorais ma grande sœur sûrement autant qu'elle m'énervait. Elle était douce, abordable, serviable, d'une humeur toujours égale. Elle avait toujours été brillante, au lycée comme dans ses études supérieures et notre père était fier de la présenter comme « le médecin de la famille » autrement dit « la seule de nos filles qui ait réussi sa vie ». L'annonce de cette grossesse était merveilleuse bien sûr, mais je savais que c'était encore une occasion pour que je remette en question mes choix de vie. Si j'avais continué le droit, je serais diplômée, j'aurais un salaire bien plus attractif que celui de serveuse que je gagne actuellement et j’adresserais plus de deux mots à mes parents lorsque je les croisais. Merde, vraiment, j'adorais ma sœur, mais cette capacité à me faire culpabiliser d'être heureuse dans une vie plus simple avait le don de m'agacer.
Je l'enlaçai plus fort, et tâchai de balayer ces pensées de mon esprit : après tout, si j'avais décidé de changer de voie, c'était pour être plus heureuse, plus optimiste et en général, ça me réussissait plutôt bien.


Je raccroche. Encore une fois, elle s'est excusée du comportement de notre mère, et encore une fois, je lui ai dis qu'elle était bien trop gentille et que ce n'était pas à elle de le faire. On est assez proches toutes les deux, nos parents avaient une carrière à gérer qui leur laissait peu de temps pour s'occuper de nous et ce sont finalement plus ou moins les jeunes filles au pair qu'ils employaient qui nous ont élevées. Il y a bien un grand frère, quelque part, plus vieux que nous mais dés qu'il a eu dix-huit ans, il a fait sa valise. J'ai dû le voir trois ou quatre fois seulement depuis mes cinq ans, mais je crois que je lui ressemble beaucoup, et c'est ce qui leur fait peur : que je parte sans un mot comme il l'a fait.
Mon téléphone me fait à nouveau sortir de ma rêverie. Mon Poker Man m'a envoyé un message. « J'ai deux places pour une partie dans le 6ème, tu te joins à moi ? ». Ce n'est pas raisonnable, je le sais bien. Je n'ai pas vraiment de problèmes d'argent, mais je ne peux pas non plus me permettre de perdre trop d'un coup. Et d'un autre côté, j'ai bien envie de le voir, lui et son petit sourire mystérieux... « Oh et puis merde. » Je lève mes fesses du canapé en vitesse et fonce vers mon placard pour me changer avant de lui répondre « OK, mais tu payes le whisky. » Je serai raisonnable demain, ce soir, j'ai bien mérité ma dose de fun.